Un méta-slam est une performance poétique, écrite puis interprétée in situ, dans le cadre – et particulièrement en clôture – de rencontres scientifiques ou professionnelles éminemment sérieuses : colloques, congrès, séminaires, débats, conférences. Le méta-slam est composé en direct, à partir de la matière écoutée, observée et réélaborée au fil des interventions ; il se nourrit de ce qui se dit, à la tribune ou dans la salle. Il est écrit au fil de la journée, dans une posture d’écoute, de glanage, de sélection, de mise en relation, de montage, et de liant. Il fait ensuite résonner non seulement des bribes de discours, celui des conférenciers, celui des auteurs, artistes ou œuvres qu’ils ont pu évoquer, mais aussi celui de l’auditoire, par la reprise de titres, des citations, des échos, des homophonies, des dérivations, des défigements, des mots-valises, des associations d’idées. Le méta-slam accueille aussi les digressions, les apartés, les lapsus, les incidents techniques (à l’instar du souris aventureuse venue distraire le séminaire Méta 3 du laboratoire LLA-Créatis).
Le méta-slam est par définition oral, situationnel, éphémère et daté. Il est forcément imparfait. C’est un discours de circonstance, qui ne prétend pas être davantage. Mais c’est un discours collectif, en ce qu’il est un collage de bribes de la parole de toutes et tous, éparses, subjectivement, partiellement et partialement raboutées par le méta-slameur, sans aucune obligation de rigueur, de référence ni de déférence dans ce patchwork. C’est par sa matière première que le méta-slam est une œuvre collective, gagnant par là la légitimité, l’écoute, et même la bienveillance, la connivence de l’auditoire. Cette composante collective, le méta-slam la partage avec le slam entendu comme scène ouverte, dont il se distingue en revanche par son dispositif, différé en deux temps distincts : la succession de prises de paroles ès qualités, puis leur restitution individuelle, incomplète et désinvolte, en bric à brac. Le méta-slam est une quintessence humble, mais possiblement irrévérencieuse, des discours pluriels de la journée, légitimes et autorisés, ex cathedra – ou accessoires, dérivés, parasites.
Le méta-slam mêle réactivité, candeur, ironie, empathie ; il apporte un regard extérieur et sensible sur l’ensemble des propos entendus, des moments vécus, puis en tire une synthèse poético-oratoire, impromptue et décalée, un rebond poétique plus subjectif, mais toujours en prise sur l’événement, et sur son sens. Il s’offre comme une alternative aux genres situationnels de la conférence, de la communication académique, du speech entrepreneurial, du powerpoint. Il présente une imperfection, une subjectivité, un anticonformisme assumés. Le méta-slam casse l’esprit de sérieux. Il décontracte la posture d’autorité, la raideur savante. Il invite au registre poétique, humoristique et ludique. C’est un discours indiscipliné.
Il invite à l’autocritique. Il introduit une stimulante et bienveillante distance vis-à-vis du cadre et du jargon prévalant dans l’auditoire du moment, ses convenances, sa prévisibilité, ses clichés, ses leitmotive – et son idiome, sa culture, sa poésie propre. La posture, l’éthos induits par le méta-slam autorisent la liberté de ton, la rupture de registre, le burlesque, le coq-à-l’âne, l’impertinence, l’énonciation de l’impensé, le pointage des points aveugles épistémologiques, les pieds dans le plat, le rappel du non-dit.
Le méta-slam est d’ailleurs imprégné de l’air du temps, des titres des journaux, de ce qui circule ce jour-là. Il œuvre à établir le lien entre le monde extérieur, son actualité politique, ses problèmes sociaux, ses faits-divers, son spectacle, et l’arène (ou la bulle), universitaire ou professionnelle, pas toujours encline à y prêter l’oreille, à en répercuter le bruit.
L’effet d’un méta-slam réside dans l’introduction d’un déplacement poétique, à la fois dans la distance « méta », le point de vue simultanément décalé et en prise totale avec l’objet et la situation, l’intelligence accrue et sensible, la poétisation de l’événement. Le méta-slam est une opération situationniste. En bref, sa vertu, son utilité, sa valeur heuristique et scientifique, résident dans la sérendipité, qui est l’aptitude à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité.
À titre d’exemple, dans le cadre du colloque international « L’éducation au développement durable de l’école au campus », du 25 au 27 juin 2008 à Albi, j’ai proféré deux méta-slams intitulés « Le développement du râble de lapin » ; ce mode d’intervention s’appelait alors « bata-slam », sur le modèle des Bata-Clowns qui opéraient en parallèle des interventions clownesques particulièrement incisives et roboratives dans ledit colloque. J’ai par la suite exposé une « Modeste contribution à un manifeste pour une culture pirate de l'ère » dans un contexte professionnel et non universitaire, lors des Assises de la culture en Pays Sud-Toulousain, le 18 juin 2014 à Rieux-Volvestre ; puis « Le rhizome de la situation » et « Le paradigme de l’ornithorynque » lors des séminaires Méta 3 et 4 du laboratoire LLA-Créatis. En 2015, j’ai par ailleurs invité le collectif UnDeuxGround (Lee Harvey Asphalte et SanDenKR) à en faire autant lors du colloque international Performances poétiques d’Albi. Dans le cas précis de ce colloque-là, eu égard à son objet, la démarche s’est avérée particulièrement féconde et vertigineuse, en une sorte de mise en abyme infinie, façon Vache qui rit performée. Le volume collectif Performances poétiques, issu du colloque et paru aux Editions nouvelles Cécile Defaut en 2017, ménage d’ailleurs une place à ces méta-slams, intercalés entre les articles des conférenciers.
Ni poésie savante ni interlude d’humoriste, le méta-slam se veut une authentique contribution à l’éclairage, la mise en perspective ou la subversion des discours tenus dans la situation, et de la situation vécue elle-même. Et en cela, le méta-slam est une affaire sérieuse.
Jérôme Cabot
Sur les méta-slam, voir Performances poétiques, publié sous la direction de Jérôme Cabot aux Editions nouvelles Cécile Defaut (2017) .
Méta-slams du collectif UnDeuxGround :
Jérôme Cabot, « Le développement du râble de lapin » :
- Les communications à télécharger.
Jérôme Cabot, « Modeste contribution à un manifeste pour une culture pirate de l'ère